Il était une fois une petite chèvre ... non ! une grande chèvre !... qui savait mener le monde par le bout du nez.
D’humeur facétieuse, elle ne faisait pourtant pas trop la maligne lorsque sa maîtresse l’enfermait dans son enclos étroit bâti de l’autre côté des mangeoires des vaches. Sans doute, n’appréciait-elle pas la présence des trente autres ruminantes qui partageaient avec elle l’odeur de la paille et les longues nuits d’hiver.
Alors au matin, après l’heure de la traite, lorsqu’une troupe de jeunes humains pénétrait dans ce lieu où ... mm, mm, les relents nocturnes n’avaient pas encore été évacués ..., la grande chèvre bêêêlait de joie et de plaisir.
{Une parenthèse ici s’impose : nous sommes dans une ferme pédagogique dont les responsables (fermiers et éducateurs) accueillent deux fois par semaine des classes urbaines peu au courant des coutumes de la vie campagnarde. Pendant deux jours, les enfants découvrent les activités au potager (déterrer les légumes pour la soupe de midi), les soins aux animaux (récolter les œufs au poulailler, nourrir les lapins, apporter le fourrage au bétail et participer à la traite). Un dortoir a été aménagé pour qu’ils puissent passer la nuit à la ferme et se lever aux aurores en même temps que les fermiers}
Si la grande chèvre se réjouissait tant, deux fois par semaine, c’est qu’elle réservait plusieurs attrape-nigauds à ses visiteurs citadins.
Pendant que les enfants écoutaient attentivement les explications du fermier sur le juste maniement de la fourche afin d’éviter de blesser les vaches, notre chèvre attendait sagement qu’un enfant, sans doute lassé du discours du fermier, s’appuie contre la balustrade de son enclos. Alors, d’un vigoureux coup de mâchoire, la chèvre attrapait le col de la veste de l’étourdi (avec une mèche de cheveux si possible) et tirait, tirait de toutes ses forces. Sans l’aide de ses camarades et les cris de la fermière, l’enfant restait cloué à la balustrade car l’animal n’avait pas pour projet de lâcher sa proie. Un bout de cordon de veste entre ses dents, la chèvre nous regardait d’un air ... pour ainsi dire narquois, comme si elle venait de marquer un nouveau point à son jeu.
La chèvre n’avait pas pour habitude de rester enfermée jour et nuit dans cet enclos très étroit. Dès que les rayons de soleil gagnaient la cour et le domaine de la mare aux canards, Madame Emilie (la fermière) lui glissait autour du cou une épaisse corde, tissée à sept brins. S’adressant aux enfants en les exhortant à être courageux et résistants, Madame Emilie confiait à trois d’entre eux, volontaires et robustes, la tâche d’accompagner la chèvre directement à son terrain de jeu autour de la mare aux canards, sans passer par le potager ! Par précaution, la fermière demandait aux autres enfants de former une chaîne devant le passage au jardin potager. Quand tout le monde était prêt, Madame Emilie comptait 1,2,3 et ouvrait la porte de l’enclos de la chèvre.
Le spectacle commençait. La chèvre, avec une rapidité qui surprenait ses trois gardiens, bondissait hors de son enclos, hors de l’étable, galopait trois fois en rond dans la cour, faisait deux fois le tour de la fontaine. Les volontaires, robustes et courageux, s’accrochaient l’un à la corde qui enserrait le cou de la chèvre, les deux autres à l’extrémité de la corde. De la chèvre, on ne voyait qu’un courant d’air poilu, des enfants on apercevait trois paires de jambes qui tricotaient à trente centimètres du sol.
Madame Emilie regardait le spectacle avec un sourire qu’elle ne dissimulait pas : deux fois par semaine (à l’arrivée d’un nouveau groupe d’enfants), la chèvre faisait son numéro de cirque, à la grande joie de ceux qui bloquaient l’entrée au potager. Pour terminer, la chèvre faisait mine de tenter une percée dans la chaîne, mais Madame Emilie veillait au grain : menaçant la chèvre d’un bâton, elle l’obligeait à pénétrer dans l’enclos de la mare aux canards pendant que les trois gardiens reprenaient leur souffle.
«Pas vrai! Elle nous refait son numéro!»
* * *
Cette histoire (presque vraie) m’est venue à l’esprit lorsque j’ai réalisé des recherches sur l’expression suivante :
ménager la chèvre et le chou
Certains événements de ma sphère privée m’ont constamment renvoyée à cette expression et ont suscité des questions autour de stratégies à développer afin de maintenir des rapports sociaux cohérents. Deux sens de compréhension prévalent à l’expression “ménager la chèvre et le chou”.Comment faire pour éviter de froisser la “chèvre” ou le “chou” ? (soit le sens du compromis)
Comment faire pour que mes intérêts personnels ne soient pas péjorés par ceux de la “chèvre” et du “chou” ? (soit le sens de l’économie)
Or, l’histoire de la chèvre de Madame Emilie me donne des indices sur une autre compréhension de cette expression. Cette fermière sait conduire les opérations, sait “faire le ménage” dans sa cour : diriger sa chèvre (dévoreuse) et protéger son jardin potager (dévoré). Toute seule, sans l’aide des enfants, elle y arriverait aussi. Elle utilise la menace du bâton pour affirmer son autorité et elle a installé un portail à son jardin.
Ainsi, dans cette expression, apparaissent réellement trois personnages : la chèvre, le chou et moi (ou vous). Il s’agit donc d’un triangle qui contextualise les rapports humains.
* * *
Pour terminer cet article, je vous propose une énigme où il est question d’une chèvre, d’un chou, d’un loup et d’un quatrième personnage (peut-être vous).
Vous devez faire traverser une rivière à un loup, à une chèvre et à un chou.
Le bateau est trop petit pour emmener tout le monde et vous ne pouvez en déplacer qu’un seul à la fois.
Il va sans dire que vous ne pouvez laisser seuls sur la rive le loup et la chèvre, ni le chou et la chèvre.
Quelle est l’astuce pour faire passer les trois de l’autre côté de la rivière ??
13 commentaires:
Pour l'astuce il faut d'abord prendre la chèvre et la laisser sur l'autre rive
Ensuite prendre le loup le déposer sur la rive et ramener la chèvre
Redéposer la chèvre sur la première rive , prendre le chou et l'amener de l'autre côté avec le loup, aller chercher la chèvre.La chèvre fait 3 passages
Il faut être diplomate avec ce dicton
Bises
Salut Monic,
Superbe et hilarant.. J'ai bien rigolé et j'en ai encore des crampes à l'estomac... J'adore te lire, c'est un pur régal!!
Je ne vais pas répondre à l'énigme, ce ne serai pas très juste, car notre petite a un conte qui s'appelle, l'ogre, la chévre, l'enfant et le gateau... Donc j'ai la réponse ;-)
Bonjour Monic, quelle belle histoire qui m'a rappelé mon premier contact avec une chèvre, une vrai, au zoo. Elle avait mangée une partie de mon travail de recherche sur les animaux que je m'appliquais à répondre, par chance mon professeur est venu à la rescousse. 34 ans plus tard, je m'en souvient.
Passe une belle journée.
Josée
Bisous
j'ai toujours aimé les chervre , pour leurs esprit malin ,j'avais en un certain temps des chevre naines ,et je t'assure que plus malin pour s'echapper d'un enclos fermé , y'a pas mieux , surtout quand les fleurs d'a coté leur paraissent d'un meilleur choix nutritif , menager la chevre et le choux il faut bien souvent le faire , mais quelques fois
perdre un choux au profit d'une chevre quand cela evite un peu d'hypocrisie est pour moi profitable ,une tres belle histoire
que les aventures des petits citadins avec cette chevre qui j'espere leur permet de repartir avec de bon souvenirs et un autre regard sur la campagne ...
Ha ! Monic, j'en ai rigolé un bon coup... excellent. Surtout la façon dont tu racontes tout ça, on peut facilement imaginer que celui qui se fait attraper ne la trouve pas très drôle ! :-)
géniale cette petite histoire, petite j'adorai garder les chèvres de de la voisine de ma grand-mère et les traire aussi. Pour sûr qu'elles ont vite fait de vous rendre chèvre ces biquettes...
@ Marithé
@ Chris
@ Josée
@ Laurent
@ Roger
@ Nadège
Je suis ravie que cette histoire vous ait plu, même qu'elle vous ait fait rire. En tous les cas elle a rappelé de bons souvenirs à certains d'entre vous.
Nous avons peut-être été tous bercés par le conte de la Chèvre de Monsieur Seguin, c'est ce qui nous rend cet animal si familier!
Connais-tu la chanson :
Il était une chêvre de fort tempérament
Qui revenait d'Espagne et parlait Allemand
Ballotant de la queue et grignotant des dents... etc...
http://www.momes.net/comptines/animaux-de-la-ferme/il-etait-une-chevre.html
Il est aussi question de chou
Lorsque je cite quelqu'un qui ménage la chêvre et le chou, c'est généralement négatif.
Pour moi, c'est une position qui revient à se tenir entre deux chaises...
J'aime les choix bien tranchés... et me plie pourtant à pas mal de compromis... comme tout le monde !!!
Il y a pire comme attitude, tu nous en parleras peut-être prochainement : le mouton de Panurge !
Ton histoire m'a ramené bien loin en arrière! J'avais pour mission de conduire une des deux chèvres de ma grand mère dans son pré! Mais il fallait traverser le jardin ! Tu imagines! Surtout que dans les potagers à l'ancienne les allées sont bordées de fleurs. Fleurs soigneusement plantées pour fleurir le cimetière chaque samedi! La Biquette m'en a fait voir de toutes les couleurs, m'a souvent rendu chèvre pour happer au passage la plus belle rose ou le plus gros dahlia!!
Il fallait ménager les fleurs, la chèvre devait attendre d'être au pré pour se goinfrer!!
J'ai passé un très bon moment à te lire!
Tout le monde est un peu chèvre et chou, ménager la chèvre d'un tel et le chou d'un autre, c'est se prendre le chou dans tout les cas, mais ça évite des conflits de canard. :)
Bonsoir monic :
Encore une belle histoire, comme on les aime : de l'action, du mouvement, et l'on ne se prend pas "le chou" !
Les chèvres ont toujours plus d'un tour dans leur sac : il y en a une dans le centre équestre de ma fille qui vit en liberté et gare à celui qui laisse traîner ses carotes !
Biseeeeeeeeeees de Christineeeeee
PS/ Suis à Annecy en ce moment (chez ma fille)... Pas très beau, le temps !
@ Foise
@ Lucie
@ Zipanu
@ Christine
Finalement, les histoires de chèvres sont nombreuses. Il y en a même qui ont eu affaire avec la justice (comme dans la chanson citée par Foise).
Personne n'a eu l'idée de recueillir toutes ces aventures?
Merci à vous pour votre passage dans mon jardin.
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