samedi 24 décembre 2011

Un grand Mystère









«On dit qu’à Noël, dans les étables, à minuit,
l’âne et le bœuf, dans l’ombre pieuse, causent.
Je le crois. Pourquoi pas ? Alors, la nuit grésille :
les étoiles font un reposoir et sont des roses.

L’âne et le bœuf ont ce secret pendant l’année.
On ne s’en douterait pas. Mais, moi, je sais qu’ils ont
un grand mystère sous leurs humbles fronts.
Leurs yeux et les miens savent très bien se parler.»

Francis Jammes

vendredi 23 décembre 2011

Le “Géant” des Alpes

Préparation des pistes de ski

Le Cervin — montagne mythique — a habité mes rêves d’enfant et d’adolescente. Ma première boîte de crayons de couleurs, avec son couvercle imagé, avait probablement suscité l’intérêt que j’ai porté depuis aux exploits des aventuriers des hautes cimes.


Me nourrissant de lectures des récits d’alpinistes, tels que Walter Bonatti ou Gaston Rebuffat, je n’osais pas imaginer que ce “terrain de jeu” pourrait être un jour aussi celui de quelques femmes sportives.

En réalité, j’ignorais qu’en 1871 déjà une alpiniste britannique, Lucy Walker, avait gravi le Cervin, en robe blanche (pour l’anecdote), soit cinq ans après la dramatique descente depuis le sommet de l’équipée d’Edward Whymper et de Michel Croz, un 14 juillet.

16h53

J’apprenais plus tard que dans les années 60-70 le guide genevois, Michel Vaucher, appréciait les expéditions en montagne en compagnie de sa femme Yvette qui était capable d’ouvrir une voie d’ascension.

Enfin, en 1978, Nicole Niquille fut la première femme à recevoir le diplôme de guide de montagne. Malheureusement, son activité de sportive s’arrêta brusquement lors d’une simple cueillette de champignons : la chute d’un caillou la rendit paralysée. Après avoir géré l’auberge du Lac Tannay pendant une quinzaine d’années, elle décida de construire un hôpital au Népal, région qu’elle n’avait jamais oubliée depuis le temps où elle avait gravi ses premiers 8000.

Je ne suis pas devenue guide de montagne. Je n’ai même jamais gravi un 4000m à la force de mes muscles. Et pourtant, la vue de ces géants m’a toujours fascinée, ce qui m’a incitée à m’approcher d’eux, voire simplement à me confronter ... à leurs pieds. Pour mieux les adorer, comme le font les populations de l’Himalaya devant leurs montagnes déesses.



Alors qu’une multitude d’Asiatiques découvrent chaque année la beauté imposante du Cervin et du panorama du Mont-Rose, je réalisai tardivement que je ne m’étais jamais approchée de notre mythe alpin.
Les leçons de géographie, en classe primaire, avaient pour exigence l’apprentissage par cœur du nom de toutes les montagnes suisses ainsi que la capacité de les situer sur une carte muette. Mais l’approche sur le terrain n’était pas prévue.
En 2011, je décidai donc qu’il était temps de rendre visite à celui dont l’image orne encore de nos jours la première page de nombreux calendriers. Un rêve à réaliser enfin.

Carte postale: Gornergratbahn

Mais pas question de se laisser surprendre par le mauvais temps : le coût du voyage et du logement à Zermatt est trop élevé pour se contenter d’un Cervin envahi par les nuages.  Je m’occupais pendant quelques semaines à observer les prévisions de la météo suisse mais aussi du côté italien. Par chance, une large fenêtre météo fut annoncée pour mi-octobre.

Mercredi 19 octobre 8h43: fin du séjour!


Et pour nous, “petits” randonneurs se contentant de balades à 3000m ou moins, ce fut une chance extraordinaire. Pendant cinq jours, nous avons pu admirer le Cervin sous un ciel bleu exceptionnel. Jamais un seul nuage à part les traînées blanches des avions.

Nous avons joué aux touristes bêtes et paresseux en empruntant chaque jour trains et téléphériques pour cerner sous toutes ses faces celui qui avait habité mes lectures d’adolescence. Devant la face nord, nous avons songé à tous ceux qui ont laissé leur vie en tentant de gravir le Cervin.

Face nord

Devant cette verticalité impressionnante, les paroles d’Edward Whymper me sont revenues en mémoire :

«Le Cervin s’est révélé un adversaire acharné. Vaincu avec une facilité imprévisible, il s’est comporté comme un ennemi impitoyable, abattu mais pas tout à fait anéanti, et s’est vengé d’une manière terrible.»

Conception de la montagne à la fin du XIXe siècle.
Et aujourd’hui qu’en est-il ? Le Cervin est-il toujours aux yeux de quelques grimpeurs ce monstre qu’il faut combattre ?
 Ne faisant pas partie du monde des “Conquérants de l’inutile” selon l’expression de l’alpiniste Lionel Terray, j’ignore si les alpinistes d’aujourd’hui ont toujours le même regard vis-à-vis des 4000. Les enjeux ont toutefois changé car tous les hauts sommets alpins ont été «conquis». Aussi s’agit-il pour les futurs héros de la haute montagne de pratiquer le «speed climbing» : par exemple, la face nord du Cervin en 1h56min. record effectué par Ueli Steck.
Or, les deux alpinistes Erhard Lorétan et Jean Troillet avaient déjà compris au cours des ascensions des 8000 dans l’Himalaya qu’ils devaient rester le moins longtemps dans ce qu’ils appelaient la zone de la mort. Allégés et sans oxygène, ils avaient choisi l’option “rapidité” pour effectuer les derniers paliers.

Face est avec l'arête Hörnli (voie normale)

Derrière la fenêtre de l’hôtel, au petit matin lorsque les premiers rayons du soleil caressent déjà le sommet du Cervin, j’ose encore un dernier rêve. Mais est-ce bien raisonnable ?
J’imagine un deuxième train à crémaillère qui monte jusqu’à la cabane du Hörnli. De là, un funiculaire souterrain m’entraîne à la verticale jusqu’à 4458 m. Les derniers 20m, je les accomplis crampons aux pieds après avoir repris mon souffle à cause de l’altitude.

Un rêve ? Ce projet a failli être accepté en 1906. Les plans des ingénieurs étaient faisables et réalistes. Mais les guides de Zermatt et le Club alpin suisse s’engagèrent dans une campagne et récoltèrent 70 000 signatures afin que ce projet échoue.

Lever de soleil

Octobre 2011. Je suis reconnaissante qu’aucun funiculaire n’ait troué ce géant. Aux amateurs de sensations fortes, il permet de mesurer la valeur de leur effort pour accéder à son sommet. À l’espèce des “petits” randonneurs dont je fais partie, il propose encore un espace pur où  l’ambition de conquête a laissé la place à des instants de méditation.