Mon p'tit rat de bibliothèque
L'oncle Reblochon
(conte de Noël)
écrit par Vincent Massard qui m'a autorisé à le diffuser sur ce blog
Furetant dans la cuisine, Parmesan, le jeune souriceau, reniflait, la moustache en bataille, vibrante sous les diverses odeurs :
− Bon sang ! s'écria-t-il, ou je ne m'y connais pas ou je sens un délicieux parfum de gruyère !... À moins que ce ne soit du jura, non ! C'est du gruyère, et même du gruyère de l'Étivaz !
Personne de son entourage ne pouvait le prendre en défaut : sa connaissance des fromages était sans conteste une des meilleures de toute la famille, à l'exception, bien sûr de l'oncle Reblochon, ce vieil original que l'on appelait à chaque fois que, parmi les souris, il y avait un problème à résoudre, un conflit à apaiser. Car Reblochon avait une grande réputation de sagesse et une autorité naturelle qui faisait que, chaque fois qu'il proposait une solution, car il ne faisait jamais que la proposer, personne ne la discutait, chacun se ralliait à son avis. Grâce à lui, dans la ferme, les souris vivaient en harmonie.
Fier d'avoir identifié le fromage, tant par vanité que pour le plaisir de montrer à son oncle que ses leçons n'avaient pas été perdues, Parmesan, avant de reprendre son expédition, alla au trou où vivait Reblochon lui annoncer sa découverte.
− Allons voir ça, dit l'oncle du ton bourru sous lequel il masquait son affection pour ce neveu.
Lorsqu'ils arrivèrent dans la cuisine plongée dans l'obscurité de la nuit, Parmesan, tout excité dit :
− Tu sens, n'est-ce pas ? L'Étivaz, n'est-ce pas ?
− Chut ! Tais-toi. Laisse-moi me rendre compte... Oui, l'Étivaz, mais, il y a autre chose...
− Autre chose ?
− Oui, ce morceau de gruyère a été bizarrement touché. On sent le contact humain. Comme si on avait pris un peu de fromage pour en faire une boulette. Et tu sais ce que ça signifie...
− Tu crois ?
− Danger ! Ça peut être un piège, allons voir, mais prudence !
Les deux rongeurs progressaient dans le noir. Les phares d'une voiture qui passait sur la route éclairèrent un moment les lieux. Les deux souris eurent le temps de distinguer une cage au milieu de laquelle un petit cube de fromage avait été placé.
− Oh ! Le beau morceau ! Allons-y !
− Stop ! Malheureux ! Tu es, comme moi d'ailleurs, bien trop jeune pour mourir !
− Qui parle de mourir ? Tu vois bien qu'il n'y a pas de ressort qui viendrait nous tuer comme cela a été le cas de ce malheureux cousin Cheddar !
− Tu crois ça ? Eh bien tu vas voir ! Ne bouge pas et laisse-moi faire !
L'oncle Reblochon saisit entre ses dents un fétu de paille qui avait dû tomber d'un soulier du paysan et, armé de lui comme d'une lance, il le glissa entre les barreaux de la cage pour toucher le morceau odorant. À peine le fromage avait-il été effleuré qu'on entendit le claquement de la porte qui se referma brutalement.
− Tu vois ce qui te serait arrivé si tu t'étais approché de ton gruyère de l'Étivaz ? Bonsoir Parmesan, je vais me recoucher. Il y a des fromages que je n'échangerais pas contre ma liberté !
− Mais mon oncle ! Je suis sûr qu'il y a moyen de manœuvrer cette maudite porte, d'entrer, de prendre le fromage et de partir ni vu ni connu...
Il n'avait pas fini cette phrase que Parmesan s'aperçut qu'il était seul, Reblochon avait déjà fait demi-tour et, après avoir ramassé quelques miettes qui traînaient sous la table et une cornette molle à laquelle adhérait un peu de gruyère râpé, il était rentré dans sa tanière manger son butin à son aise.
Parmesan, quant à lui, décida de ne pas se donner pour battu. Si la porte de la souricière pouvait se fermer, elle devait aussi pouvoir s'ouvrir. Ce n'était pas seulement une question de gourmandise, c'était surtout pour montrer à son oncle que les souriceaux de sa génération étaient bien plus malins que les vieilles moustaches du passé. Il agrippa le fétu de paille entre ses incisives et tenta de le glisser sous la porte de la trappe. « Donne-moi un levier et je soulèverai le monde! » pensait-il en s'affairant contre le mécanisme. La grille se souleva légèrement, il glissa une patte et le bout de sa queue et , peu à peu, il fit remonter la porte basculante jusqu'à pouvoir se glisser dessous. Un petit saut, pendant lequel il entendit vaguement le claquement métallique de la cage, et il atteignit le cube de fromage auquel il ne trouva pas autant de plaisir qu'il s'y attendait : l'odeur humaine gâchait le goût.
− Comme je suis entré, je vais ressortir...
Parmesan ne se doutait pas qu'il avait péché par optimisme. Le fétu qui servait si bien de levier d'un côté, refusait tout service : l'angle d'attaque n'était pas le même et, après usage, la paille s'était assouplie au point de ne plus pouvoir supporter l'effort de soulever la grille. Avec ses pattes, sa queue, ses griffes, il lutta contre l'implacable mécanisme, en vain. Épuisé, il s'assoupit et tomba dans un mauvais sommeil où il rêva qu'il naviguait sur un radeau hâlé par de gros rats et, la rivière étant peu profonde, l'embarcation frottait contre les galets du fond....
Quand il reprit ses esprits, il se vit dans la cage qui n'était plus dans la cuisine, mais dans la grange. Au lieu de la redoutable présence humaine, c'étaient ses parents, ses frères et sœurs. L'oncle Reblochon donnait des ordres. Il y avait aussi le petit cousin Bel-Épi, rat des moissons qui, au contraire du reste de la famille, savait tresser la paille pour faire son nid et que Reblochon avait envoyé chercher pour la circonstance. Sur son ordre, l'artiste avait attaché deux liens aux deux coins de la cage opposés à la redoutable bascule et les autres avaient tiré la cage hors de la dangereuse cuisine.
− Alors, tu es réveillé ? Ça tombe bien, il va falloir que tu te prépares à faire le grand saut : Nous allons tirer la cage vers le haut, le long de ce tas de foin. Quand elle penchera assez, la porte basculera et tu pourras sortir !
Aussitôt dit, aussitôt fait. La trappe penchait de plus en plus, Parmesan n'en menait pas large, mais, peu à peu, la grille s'inclinait, s'éloignait du plancher du piège. Soudain, il glissa, sa tête heurta la porte qui s'ouvrit et il se retrouva couché dans le foin. Les souris lâchèrent les liens et, dans un bruit de ferraille le piège s'écrasa à côté du souriceau tout étourdi de sa chute.
− Plus de peur que de mal ! s'écria l'oncle Reblochon. Je pense que la prochaine fois, tu suivras mieux mes conseils !
− Mais...
− Pas de mais ! Tu te demandes comment on a pu te tirer de ce mauvais pas. C'est tout simple, je me suis souvenu de comment j'étais à ton âge. J'ai donc pensé à ce que tu allais faire et je ne me suis pas trompé. Aussitôt que je t'ai vu dans la cage, j'ai appelé les autres : la famille ça sert ! Non, ne me remercie pas ! Ou plutôt si, en retenant deux leçons : d'abord de ne pas négliger les conseils des anciens et ensuite qu'il faut toujours aider les autres quand c'est possible. Aujourd'hui, ils t'ont aidé, demain ce sera toi qui les aideras...
Copyright :
«L’oncle Reblochon» , conte écrit par Vincent Massard (15 décembre 2009) .
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Cathy.