mercredi 16 juin 2010

Conte de Louché


Il avait couru tout le jour et toute la nuit encore.
Traversant les névés suspendus au pied des falaises,
il avait failli se perdre dans les pierriers des Aiguilles Rouges.

La Bête le pourchassait depuis bientôt sept lunaisons.

Cette nuit-là sans lune, il sentit sur sa nuque
le souffle immonde de l’enfer  : brûlant et suintant.
Il comprit que sa dernière heure était arrivée.
Alors, dans un ultime sursaut, il dévala  en trébuchant
les pâturages désertés par les reines de la vallée.

Goûtant encore une fois l’eau glacée du petit lac,
il retrouva enfin un peu de courage au fond de son âme.

Mais le grand Eclair blanc des hauts des Veisivi jaillit.

Il vit la Lumière le parcourir de la tête aux pieds
et des pieds à la tête, deux fois, trois fois.
Alors, dans un hurlement de tonnerre,
il se jeta dans les bras du grand mélèze vert
et, comme un enfant, se figea sur son sein...



... l’Homme Sauvage de Louché.



- Si vous passez sur son sentier, ne manquez pas de lui faire un sourire :
il vous offrira en échange la vision d’un étrange parterre de taches jaunes et bleues.


mercredi 2 juin 2010

L'homme qui aimait les “bibornes”

J’aime les chats et leurs façons de communiquer ou ... de nous ignorer.
Mais il m’est arrivé d’avoir aussi un coup de cœur pour des petites bêtes.

Une foule de minuscules grenouilles traversant le sentier m’avaient arrêtée dans ma balade matinale après une nuit bien pluvieuse : craignant de les écraser, je ne savais plus où poser mes semelles. Sur la pointe des pieds (exercice difficile avec des chaussures de marche), j’étais parvenue à les épargner.




Et les tritons alpestres que je retrouve au même endroit, tous les mois de mars de chaque année, me mettent à genoux : l’appareil de photo près de la surface de l’eau les attire et leur regard m’intrigue.




Il y a trois jours, en sortant de l’épicerie, j’aperçus un homme penché sur le sol du parking. Il se déplaçait à gauche, à droite, le regard toujours fixé parterre. Croyant qu’il avait perdu un objet je m’approchai de lui. D’un air malicieux mais étonné par sa découverte, il m’expliqua son manège.
Le ciel avait craché toute la nuit de courtes averses accompagnées par moments de coups de tonnerre. Ce matin-là, alors qu’il commençait son travail de surveillant de parking, le vieux monsieur constata que des dizaines d’escargots sortaient des buissons ou des hautes herbes. Les bibornes s’aventuraient sur les places de parc et, bien sûr, quelques mollusques avaient déjà péri sous les pneus des premiers clients. Tout en contrôlant le va-et-vient des voitures, il sauvait un à un les escargots en les déplaçant dans l’herbe. Nous en avons compté une bonne trentaine de candidats kamikaze ! Il remarqua que les petites bêtes étaient attirées par les mégots de cigarettes et s’y agglutinaient.
Abrités sous son parapluie (sic Georges Brassens), nous avons parlé des avantages des produits frais à mettre dans notre assiette, de l’eau de source volée aux indigènes par une multinationale pour être revendue...
De temps en temps, un petit escargot interrompait notre conversation pour être remis sur le bon chemin.
Simple rencontre par temps pluvieux.



Biborne: mot du patois vaudois pour désigner l'escargot

Extrait du dictionnaire Robert:
Bigorne: petite enclume à deux têtes
Bigorneau: escargot de mer