jeudi 27 mai 2010

Faire la cane ou se soumettre?


Mardi 25 mai. Deuxième journée (presque) estivale. Je pars en repérage sur le Sentier des rives du lac à la recherche de couples de cygnes couvant ou maternant.
Deux œufs par-ci, deux œufs par-là, trois oisillons plus loin, une famille de six en apprentissage de toilettage sur la rampe de la batellerie. Les adultes sont tellement préoccupés par leur travail qu’ils en sont devenus moins sauvages et se laissent contempler dans leur nid.

Tout est calme : le lac est un miroir, les morillons et les nettes sont absents, envolés vers d’autres rivages pour mieux achever le rite de la reproduction ?

Disparue l’excitation d’il y a quinze jours : les canes ont retrouvé un semblant de paix, l’instinct chasseur des mâles s’étant apaisé. J’imagine que la période printanière est particulièrement stressante pour les femelles appelées à choisir ou à retrouver leur partenaire. Les jeunes en âge de procréer sont hardis et conquérants. La cane n’a parfois pour unique solution que le plongeon.
Le comportement d’un groupe de morillons dans la baie de Montreux m’a impressionnée : seule parmi sept mâles, la cane a effectué en volant une dizaine d’allers-retours sur deux cents mètres, poursuivie par ses courtisans. À chaque fois qu’elle se posait sur l’eau un morillon se précipitait sur elle. Et à chaque fois elle plongeait. Etait-ce un rite ou une fuite ?



Faire la cane est une expression qui signifie s’esquiver devant le danger
(Dictionnaire des expressions idiomatiques, M. Ashraf et D. Miannay, Le Livre de Poche).

Claude Duneton précise que cette vieille expression fait allusion au «plongeon à l’approche du danger» et qu’elle (...) a donné le verbe caner qui veut dire «reculer, fuir».
(La Puce à l’oreille, C. Duneton, Stock)



Et nous, humains, nous arrive-t-il de faire la cane, de fuir devant le danger ?
Selon l’éducation que nous avons reçue ou selon notre tempérament, nous avons appris plus ou moins à nous battre devant l’adversité. Certains ont même reçu l’adjonction de se défendre face au danger. Or, la définition du mot “danger” contient bien la notion de “menace qui compromet l’existence de quelqu’un”.
Ainsi, cette vieille expression nous inciterait-elle à reculer au lieu de combattre une situation où notre vie est menacée. Cependant, je ne vous conseille pas de l’utiliser légèrement car il semble que faire la cane relatait plutôt l’attitude d’un homme lâche  et, de ce fait, avait une connotation humiliante.

Addendum
La préparation de cet article m’a été inspirée par une expérience professionnelle vécue qui, sans doute, trouvera un écho parmi d’autres personnes. La remémoration d’une impossibilité de réaction face à une situation frustrante et stressante a trouvé un lien avec la théorie d’Henri Laborit —L’inhibition de l’action— dont je vous cite un extrait écrit du film d’Alain Resnais “Mon Oncle d’Amérique” (1979). 

«On peut donc distinguer quatre types principaux de comportement :
le premier est le comportement de CONSOMMATION, qui assouvit les besoins fondamentaux,
le deuxième est un comportement de GRATIFICATION, quand on a l’expérience d’une action qui aboutit au plaisir, on essaie de la renouveler,
le troisième est un comportement qui répond à la PUNITION, soit par la FUITE qui l’évite, soit par la LUTTE qui détruit le sujet de l’agression,
Le dernier est un comportement d’INHIBITION, on ne bouge plus, on attend en tension et on débouche sur l’angoisse. Et l’angoisse c’est l’impossibilité de dominer une situation.»

(Sources : http://lionel.mesnard.free.fr + Avantitude)

16 commentaires:

Josée Roy a dit…

Bonjour Monic, encore une fois tu m'enseigne une expression inconnu au Québec, à ma connaissance du moins. Faire la canne peut parfois nous sauver la vie même si pour cela, on doit passer pour un lâche...c'est bien ça?
Mais pauvre canne se faire pourchasser par autant de mâle, je comprend qu'elle doit être stressée.
Et les principaux comportements que tu évoque à la fin me rappelle mes cours de psycho, que j'ai adoré d'ailleurs.

Merci et passe une belle journée.
Josée
Bisous

Cathy B a dit…

Bonjour Monic,
Je ne connais pas non plus cette expression, et me vient en tête son pendant masculin (tout en restant dans la basse-cour): "faire le coq", qui n'est pas beaucoup + valorisante que "faire la cane". Dans certaines situations, on est révolté, par la situation elle-même, mais aussi parce qu'au fond de nous, on devine que tout est joué. Parfois, on fait la cane, parfois on fait le coq, et d'autres fois encore, on fait l'autruche. Et les expériences, bonnes ou mauvaises (souvent mauvaises en l'occurrence) nous enseignent toujours quelque chose et nous aideront à affronter d'autres situations ou à gérer cette angoisse inhibitrice.

Pour revenir aux trésors de la langue, pour moi, le verbe "caner" a une signification plus définitive: "passer l'arme à gauche". C'est ce qui est arrivé à plusieurs canes d'un petit bassin près de chez moi: trop de mâles pour quelques femelles et certaines se sont noyées ou sont mortes d'épuisement.

Merci pour cette nouvelle fenêtre que tu ouvres sur notre langue, et je te souhaite une belle fin de semaine, sans trop de nuages.

nadège a dit…

voilà une expression que je ne connaissais pas donc merci monic pour toutes ces précisions. On a aussi tendance à dire faire l'autruche, c'est un peu de lâcheté si on cherche bien ! :)

Marithé a dit…

Pauvre cane quel courage elle a au printemps poursuivi par les mâles
Sinon je ne connaissais pas cette expression, un enrichissement dans mon vocabulaire
Les photos sont superbes
Bises

Laurène a dit…

Et oui, c'est ça la saison des amours ! Ces cannes ont bien du courage.
A bientôt

laurent Debordes a dit…

voila une expression que je ne connaissait pas , les oiseaux ont donné bien des comparatifs a l'attitude humaine ...

http://plantunivers.blogspot.com/ a dit…

Je ne connaissais pas cette expression.
Je ne jugerai pas du bien fondé de la réaction ; il est parfois plus prudent de fuir que d'affronter le danger ... surtout quand on a des petits à protéger.
La plupart des femelles (dont celles de l'espèce humaine) préfèrent fuir que risquer de se faire blesser voire tuer dans un affrontement avec un mâle.
Les circonstances nous y obligent pourtant et je ne connais rien de plus agressif qu'une femelle qui défend ses petits !
En tout cas, c'est un sujet très intéressant.

monic a dit…

@ Bonsoir à tous!
J'ignorais aussi l'existence de cette expression. Comment l'ai-je découverte?
En méditant sur la notion de stress et de mobbing, j'ai relu quelques passages d'Henri Laborit. Enfin une image récente m'est revenue: la lutte de cette cane morillon qui cherchait à se défaire des mâles. Dans l'ouvrage de Claude Duneton, quelques expressions sont consacrées aux canards, dont celle-ci. Coïncidence?

monic a dit…

@ Josée
La représentation que tu te fais de cette expression me convient aussi: sauver sa “peau” (=son équilibre) quitte à passer pour un lâche, c'est parfois la réalité. Il est vrai qu'après, il faut assumer l'action...

@ Cathy
Ton témoignage confirme ce que je pensais: les canes sont effectivement en danger.
Pour ce qui concerne le verbe “caner”, voici ce que Duneton a écrit:
«Quant à “caner”, mourir, il semble venir d'un renforcement argotique[...]par jeu de mots avec “canner”, s'en aller, quitter les lieux, c'est-à-dire «jouer des cannes»: jouer des jambes.» (p172)

@ Nadège
... sauf que “faire l'autruche”, c'est enfouir la tête dans le sable, donc être plutôt dans le déni que dans la fuite effective.

@ Marithé
Merci, mais les photos datent de mes premières expériences et elles ont un défaut de luminosité que je ne parviens pas à rattraper.

@ Savoyarde
Tu as raison: il ne faut pas non plus tomber dans un excès d'anthropomorphisme.

@ Laubaine
... tous les animaux en général. Les Fables de La Fontaine en sont un exemple.

@ Plantine
Oui, d'accord avec toi. Le même jour, j'ai vu une femelle colvert empêcher le mâle qui tentait d'approcher de sa couvée.

Christineeeee a dit…

Ah, là là...
Si la cane pouvait avoir un cou aussi long que celui de l'autruche, peut-être trouverait-elle la solution idéale pour fuir le danger !

Illustration en image :

http://www.dessincretin.com/dotclear/public/dessins/autruche2.jpg

Biseeeeeeeeeeeeees de Christineeeee

Christineeeee a dit…

Le lien n'est pas bien passé, il manque quelques lettres :

Ajoutez à l'adresse :

che2.jpg

Rebiseeeees

Titane333 a dit…

Un grand bravo, et un texte que j'ai lu avec grand intérêt jusqu'au bout. Bonne semaine!

monic a dit…

@ Christine
Oedipe chez les canards, pourquoi pas?!

@Titane
Merci pour tes encouragements, à bientôt.

Zipanu a dit…

Je ne me souviens pas d'avoir entendu cette expression.

Fuir ou affronter le danger pose un dilemme stratégique.
La fuite est la plus efficace à court terme.
L'affrontement permet de mettre un terme au conflit.
Dans le premier cas on se subordonne à la situation et dans le second on prend l'ascendant.
Mais parfois l'on rêve de paix et d'égalité, et l'on ne peut concevoir cette hiérarchie de dominant/dominé, d'où l'inhibition.
Alors qu'il faudrait prendre conscience du schéma qui cherche ici à s'imposer pour mieux s'en défaire.

Rien de simple ni de facile en somme.

monic a dit…

@ Zipanu
Tout un travail de recherche sur soi et en soi, d'analyse sur le rapport à l'autre: cela peut commencer très tôt dès l'enfance. Les mécanismes “dominant/dominé” sont déjà bien visibles dans le milieu scolaire.
Merci pour ta contribution à la réflexion.

Zipanu a dit…

Houuuu oui.

Je me souviens même de potes qui étaient des crèmes en face à face, mais qui devenaient complètement exécrables groupés avec d'autres qui isolément n'étaient pas non plus détestables.
O-o influence de la masse.

Merci à toi, c'est toujours agréable et intéressant de parcourir et lire ton blog.