mercredi 27 janvier 2010

«A mon dernier repas...» (Jacques Brel y avait déjà pensé)


«À mon dernier repas, je veux voir mes frères, et mes chiens et mes chats, et le bord de la mer...»


Josée d’Amelanche1 m’a taguée.
Elle m’a lancé un défi qui m’intrigue, me dérange.
Dérange, non pas dans le sens où je pourrais être perturbée par l’enjeu, mais plutôt dans sa première définition. Ce tag, malgré lui, a pour effet de déplacer mes idées, mes croyances, les mouvoir de là où je les pensais bien rangées ! Je vais ouvrir ma boîte à pensées toutes faites, je vais peut-être les redistribuer dans d’autres tiroirs...
Voyons cela.

«À mon dernier repas, je veux voir mon âne, mes poules et mes oies...»



 


Le tag, le tag !

Et bien, c’est un jeu, paraît-il très populaire parmi les grands chefs de cuisine du monde. Il s’agit de répondre à la question suivante :
«Si vous deviez mourir demain, quel serait votre dernier repas sur terre?»
La photographe Melanie Dunea a conçu un ouvrage (Le Dernier Repas) où elle demande à 50 chefs très connus d’y répondre en décrivant la préparation de cet ultime repas, le décor qui orne cette festivité gastronomique des derniers instants de vie, ainsi que les convives qui vont déguster pour la dernière fois les raffinements culinaires de leur hôte.  

«Après mon dernier repas, je veux que l'on s'en aille, qu'on finisse ripaille ailleurs que sous mon toit...»


 
Balade du Séprais (Jura-CH)

«Mourir demain», oui, mais comment ? pourquoi ?
Là n’est pas la question du tag, d’accord. Mais tout de même...
Je ne sais pas si le malheur haïtien me poursuit —à raison—, pourtant j’ai de la peine à concevoir  que l’on fasse “ripaille” POUR mourir demain.
Enfin, s’il fallait mourir demain, ne serait-il pas plus sage de libérer son corps en allégeant ses fonctions afin que le passage se réalise au “mieux” ?
Chacun est libre de penser ce qu’il veut, de marquer comme il l’entend (s’il en a encore la force, bien entendu) les derniers instants de son séjour sur terre.



 
Balade du Séprais (Jura- CH)

«Puis je veux qu'on m'emmène en haut de ma colline voir les arbres dormir en refermant leurs bras...»


 


Alors, es-tu prêt ?
Viens, je t’emmène sur ma montagne, là où le géranium sauvage ne craint plus la bise, là où les chamois se rassemblent en nursery, là où nous serons encore plus proches du ciel qui s’illumine lorsque la fin du jour approche.
Tu mettras  tes chaussures profilées car les racines des sapins sont de rudes pièges dans l’obscurité.
Tu prendras ta veste rembourrée, les soirées sont fraîches là-haut.
L’approche est longue : dépassant les pâturages où règne la grande gentiane jaune et traversant les étages forestiers, nous atteindrons enfin la crête au bout de quelques heures de marche.
Tu profiteras de cet instant de lumière pour entrevoir devant toi le Mont Blanc et le Grand Combin, à gauche à l’horizon, les silhouettes des trois dames bernoises —Eiger, Mönch et Jungfrau—. Tu te rappelleras combien tu as rêvé de les caresser un jour.



 


Pardon, tu as soif ?
Je sortirai de mon sac un Cornalin de Chamoson , le meilleur. Les “verres” seront en carton recyclable, mais ce qui compte c’est le nectar que nous dégusterons, la tête dans les nuages et le monde à nos pieds.
Et puis...
Nous réunirons en cercle quelques pierres de calcaire, nous ramasserons les branches sèches qui jonchent au fond de la clairière. Nous ferons un petit feu pour ne pas effrayer les habitants de ces lieux.
Et puis...
Avec la pointe d’une baguette, nous ferons fondre des morceaux de ce fameux fromage à racler des Haudères  que nous étendrons sur des tranches de “Pain de Mon Chemin” juste avant que le fromage ne s’effondre dans les braises. 
Avec les étoiles pour éclairage et le “hou” du Moyen-Duc comme accompagnement musical, nous boirons à la santé — oui, tu as bien entendu “à la santé”— de ceux qu’on aime, sans oublier ceux qu’on aime un peu moins.




 


Et le dessert ?
Je t’offrirai, tirés de la poche extérieure de mon sac parce qu’ils sont légers et peu encombrants, des biscuits à l’anis de Fribourg. Ils sont en forme d’étoiles à quatre branches et garnis d’une mince cristallisation de sucre.  
Enfin, pour conserver cette chaleur du cœur et de l’âme que le crépuscule nous aura donnée, j’arroserai la fin de notre repas frugal d’un “caffè italiano” coulé dans mon thermos.

Alors ...
Tandis que notre feu se sera éteint et que la nuit nous aura entourés, nous percevrons autour de nous le frôlement des sabots sur les pierres et le souffle des jeunes chamois curieux s’aventurant après la tétée.



«Puis je regarderai le haut de ma colline qui danse, qui se devine, qui finit par sombrer.
Et dans l'odeur des fleurs qui bientôt s'éteindra, je sais que j'aurai peur une dernière fois.»


(Chanson de Jacques Brel, Le dernier repas)


12 commentaires:

laurent Debordes a dit…

mon dernier repas , j'aimerais que ce soit un petit déjeuné comme au matin d'un beau jour qui se leve , avec mes animaux attendant comme d'habitude le dernier morceau de croissant ou de pain beurré que je leur reserve et la derniere goutte de lait , sur une terasse bien exposée et une vue verdoyante ...

Josée Roy a dit…

Chère Monic, que c'est beau,... en te lisant je vivais, en parallèle, un autre moment de ma vie et les larmes coulaient de mes joues.

Un moment où un petit être, ma fille, a monté un jour cette montagne pour nous rejoindre et a trouvée la force... de vivre.

Merci ma chère et douce Monic.
Passe une belle journée.
Josée
Bisous

Chris a dit…

Salut Monic,
Si le sujet est un peu difficile à aborder, tu nous gratifies, là encore, de tout ton talent oratrice et d'écrivaine. C'est toujours un régal de lire tes lignes, qui se suivent mais ne se ressemblent jamais, et qui, comme à chaque fois, ravivent les émotions les plus profondes d'un être. Chapeau pour ce post, encore une fois. Que ta plume ne se tarisse jamais, et mon dernier repas sera fait de tes mots ;-)

monic a dit…

@ Laurent
Je vois tout à fait, je comprends, et ton déjeuner me plairait si j'avais des compagnons comme les tiens.

@ Josée
Ce thème était difficile et j'imagine fort bien que l'écrit peut remuer un passé où l'on a risqué de chavirer. Un tag pas banal du tout qui nous met face à notre finitude.

@ ©hris
J'ai conscience que j'ai la chance de savoir écrire. J'ai toujours aimé écrire. Quelquefois il m'arrive d'être sans mots, alors j'attends qu'ils viennent.
Par contre je ne suis pas du tout oratrice: parler devant un public me terrorise.

MERCI à tous trois d'être passés par là: vos commentaires me touchent et m'indiquent qu'il y a sur terre comme un écho.

Foise a dit…

Le débat entre "manger pour vivre" ou "vivre pour manger"... est récurrent...
Ce tag est plus osé... Et tu l'as traîté d'une façon magistrale. Pour une fois aucune paroles de chanson ne sont venues parasiter mes pensées, mais des images de films.
Finir comme Piccoli dans la grande bouffe ?... beurk...
Non, à choisir, lorsque tout sera devenu trop difficile, que je serai usée, je préfèrais comme le fait si bien Yves Montand, en Papé provençal, m'allonger bien propre sur moi sur un lit tiré à 4 épingles et finir dignement après ma soupe et ma pomme, un soir ordinaire.

A priori, gâteau à l'anis mis à part je suis partante pour t'accompagner et prendre ce dernier repas avec toi...
Mais comme toi, je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi tu saurais que tu t'en vas... et ça me dérange... Une fin du monde annoncée ?... un suicide collectif ?... Bizarre mais ça me rappelle quelque chose qui s'est passé dans le Vercors...
Je fais bien de me méfier des gâteaux finalement... est-ce bien de l'anis ?...

Je me suis régalée du panorama qu'offre cette crête du Jura où tu nous as conduits, j'ai goûté chacun des mots délicats que tu as choisi pour nous, j'ai bu tes paroles, je me suis réchauffée de la chaleur de ton amitié... Je n'ai besoin de rien d'autre... La mort est notre seule certitude, je ne suis pas exempte d'une bouffée d'angoisse en l'évoquant, la nier ne change rien... Cette échéance donne du prix à chacun instant et c'est réjouissant. J'ai dans mes carnets une phrase de Christian Bobin depuis des lustres...

Chris a dit…

Re,
Dis moi qd est ce que tu passes par chez moi en juillet? Quels sont tes plans? Fais moi coucou quand tu es à Reykjavik, je t'aménerai voir les plongeons imbrins!!!

Chris a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Zipanu a dit…

Mon rêve serait de faire ce que tu décris, un repas simple et naturel au plein air, mais j'ai pas tellement envie de mourir après. lol
Pourquoi ne le fais-tu pas me dirait-on...bonne question, pas les bonnes personnes pas les bonnes occasions, etc.

Christineeeee a dit…

A mon dernier repas...

Ta note raisonne étrangement chez moi :

Ce n'est pas le dernier repas... mais les derniers cours qui ont eu lieu aujourd'hui, au centre équestre où je suis l'éternelle bénévole depuis 14 ans déjà : le temps passe si vite.
Le centre équestre a fermé ses portes... après de graves problèmes de carrière... et nous en avons le coeur chaviré.

Le pourquoi du comment... se trouve dans la note que je viens d'éditer dans l'Echo des Sabots.

Mais j'espère que nous arriverons à rebondir, surtout mon amie Rosy...

Notre dernier jour, oui,
Notre dernier repas...
Certainement pas...

Biseeeeeeeeeeees de Christineeeee

Foise a dit…

Je suis venue voir si tu étais toujours en vie... Et relisant mon commentaire je m'aperçois d'une faute qui a dû te faire grincer des dents. Il fallait écrire : aucune parole de chanson n'est venue parasiter...
Bon dimanche Monique !

willow a dit…

très beau ce post , plus dans son contenu d'ailleurs que dans sa forme (pourtant parfaite à mes yeux )....sans doute parce que la profondeur se ressent plus qu'elle ne se lit ....
Difficile de répondre à ce tag, selon ce que l'on a vécu, ce qu'on vit .... moi je détonnerais sans doute encore une fois , mais il m'en faudrait deux et en simultané donc impossible sans doute, sauf dans ma tête .......

monic a dit…

@ Foise,
Je suis encore là et j'y tiens... même que j'ai assisté à deux beaux couchers de lune ces dernières nuits. J'attendais le passage d'un hypothétique renard, juste pour rêver encore un peu.
Si tu viens à mon repas, juré, je ne prendrai pas de biscuit à
l'anis. Une pomme, une orange ou des fruits secs, ça ira.
PS Je ne suis pas une intégriste de l'orthographe.

@ Zipanu
... moi non plus, pourtant nous ne sommes pas des dieux! Et il fait si beau, dommage de quitter cette belle lumière maintenant... Jacques Brel songeait peut-être à ce genre de regrets lorsqu'il parlait d'une dernière peur.

@ Christine
Tu vis un événement difficile, quitter une activité qui aurait pu durer. J'imagine que les chevaux et les écuyers sont en forme, pourquoi arrêter? Si on a la santé de s'offrir un “dernier {bon} repas”, pourquoi mourir?
Courage. Je suis en pensées avec toi.

@ Willow
Apprendre que le ressenti est plus fort que la lettre (pour l'auteur d'un texte), voilà une critique positive qui m'encourage à continuer.
Deux repas, et en simultané: je vais méditer sur l'idée d'une double expérience de vie.


MERCI à vous aussi, d'avoir partagé vos impressions, vos émotions sur cette thématique à plusieurs voies.